J. Boutillier, enseignant à l’INCTB, responsable de la formation Thérapie brève des troubles anxieux
Auteur de En terminer avec l’anxiété sociale
Contents
L’anxiété sociale est multiforme. Voici en introduction une présentation des manifestations les plus courantes auxquelles se consacre cette méthode d’auto-traitement : trac, timidité, phobie sociale, personnalité évitante et éreutophobie. Dans un dernier chapitre de cette introduction, le trouble panique, pouvant être associé à l’anxiété sociale, vous est présenté.
1. Le trac
Le trac est un phénomène anxieux bien connu par tous et jugé très handicapant par 35% des gens.
Ce phénomène paroxystique a ses caractéristiques. Alors que la timidité constitue une sorte d’état permanent, le trac est circonscrit et circonstanciel, lié à un contexte particulier :
– Le trac est lié à une/des situation(s) précise(s). On vit une situation désagréable, on attribue l’état anxieux à la situation. On crée un ancrage stimulus-réaction, un automatisme. On appréhende la situation suivante etc…
– C’est avant que ça se passe : de manière plus marquée que dans la phobie sociale par exemple, l’anxiété anticipatoire joue un rôle important. Participent donc, dialogue intérieur catastrophistes, représentations internes alarmistes, comportements inadaptés (évitement, fuite, hyperactivité, vérification, inhibitions…)
– Ca finit par se calmer : en situation, le degré d’anxiété baisse, ce qui différencie de la phobie sociale. Un des problèmes de ce type de problématique réside dans le fait qu’en évitant, en s’échappant ou en se débarrassant rapidement de la corvée, on ne se donne pas la possibilité d’observer et de constater cette baisse d’intensité.
– Si on pratique, si on répète l’exposition, l’anxiété relative à la situation baisse, ce que l’on nomme phénomène d’habituation.
– Les réactions physiologiques sont très intenses, plus importantes que dans d’autres difficultés sociales et anxieuses, entre autres du points de vue de la production d’adrénaline ou de certaines réactions neuro-végétatives comme l’accélération de la respiration ou du rythme cardiaque.
Bien que d’origine encore un peu floue, le terme « trac » semble venir de « traquer ». Le souci dans le cas du trac est qu’il n’y a pas de prédateur réel. On se trouve donc avec des manifestations physiologiques inadaptées (le corps se mobilise pour faire face à un danger réel alors qu’il n’y en a pas). C’est ce même type de manifestation de «fausse alarme» que l’on peut retrouver dans le trouble panique.
Intensité
Plus les manifestations de trac sont intenses, plus on va s’installer dans le paradigme de l’anxiété sociale :
– D’un point de vue corporel : forte activation jusqu’à la panique.
– D’un point de vue cognitif : postulats perfectionnistes et ruminations anxieuses diverses.
– D’un point de vue émotionnel : peur intense
– D’un point de vue comportemental : inhibition et évitement.
Il conviendra donc de développer différentes ressources :
– Développer des compétences psycho-corporelles permettant de remettre en cause les manifestations neuro-végétatives, entre autres respiratoires, et tensionnelles.
– Remettre en cause les postulats de perfection, établir des objectifs réalistes afin de diminuer l’exigence pour pouvoir développer la tolérance et favoriser une baisse de l’anxiété.
– Travailler sur les différentes empreintes émotionnelles, stimuli dépendants de l’histoire du sujet.
– Développer des comportements adaptés à l’habituation et à la performance.
2. La timidité
La timidité, dans l’acceptation générale du terme constitue une sorte d’état d’être chronique qui, sans générer un mal-être aigu ou une peur extrême, nuit au développement des relations et compétences sociales. Bien que beaucoup s’arrachent les cheveux à établir une définition depuis quelques années, on peut préciser la définition de la timidité en tant que « manière d’être durable et habituelle, marquée par une tendance prononcée, lors dessituations nouvelles, à se tenir en retrait et à éviter de prendre l’initiative, malgré un désir relatif d’échanges avec l’entourage. »1
Qu’est-ce qui intimide?
Parler devant une assemblée | 74% |
Participer à un groupe | 73% |
Rencontrer des inconnus | 70% |
Rencontrer une personne de sexe opposé | 64% |
Etre dans un grand groupe | 68% |
Se sentir inférieur à ses interlocuteurs | 56% |
Différents axes anxiogènes apparaissent donc :
- La nouveauté
- L’initiative
- Le fait d’être en point de mire
- L’implication personnelle
Contrôle et repli
De manière schématique, quelqu’un de timide se sent donc vulnérable et craint le jugement. Le contrôle va donc être un phénomène important : contrôle de ce qui est dit, contrôle des émotions, contrôle de l’image qui est donnée…
D’où la réserve observée dans le cas de la timidité, où l’apparent repli sur soi-même. Bref, une addition d’inhibitions. S’agissant d’un phénomène non pathologique, les manifestations corporelles, cognitives, comportementales vont être la plupart du temps relativement légères.
Plutôt que des crises paroxystiques, s’installe un état chronique et durable, d’autant plus pernicieux qu’on peut l’associer à la personnalité (« Je suis comme ça »). Il faut donc qu’il y ait handicap ou mal-être pour qu’une personne timide cherche de l’aide.
Mise en place
Les facteurs de construction de la timidité peuvent donc être nombreux et variés :
w Inhibition : le sujet possède les qualités assertives, les compétences sociales mais elles sont inhibées : pour une raison ou une autre, le sujet n’exprime pas ses potentiels et compétences réelles en situation sociale.
– Il peut s’agir ici d’un conditionnement émotionnel : celui-ci fait que l’individu, dans telle ou telle situation, perd ses moyens. Les émotions liées à l’état sont alors importantes.
– Il peut également être question des mécanismes cognitifs de l’individu : discours interne négatif et/ou dévalorisant, auto-verbalisation pendant ou après la situation. Les croyances sont alors au centre du phénomène.
w Défaut d’apprentissage : le sujet présente des lacunes dans le domaine des compétences sociales. Pour une raison ou une autre, le sujet n’a pas développé telle ou telle compétence ou bien il la possède mais n’a pas appris à l’utiliser ou à la combiner de manière adaptée à la situation :
– Pendant l’enfance, les comportements assertifs n’ont pas été encouragés ou renforcés (« on parle quand on a quelque chose d’intéressant à dire », « tu n’arrêtes pas de parler de toi »…).
– Des comportements inhibés ou évitants ont été encouragés ou renforcés (« dans la vie, il vaut mieux rester en retrait », …).
w Difficulté à choisir le comportement approprié : le sujet possède les compétences mais a des difficultés à identifier le comportement approprié à telle ou telle situation, ou a lui apporter les nuances et proportions adaptées.
Particularités
– On peut noter qu’à la différence de la phobie sociale, la personne souffrant de timidité, après une période initiale d’inhibition s’adapte dans de nombreux cas. On peut expliquer cela par la part différente de motivation ou d’envie qui permet de dépasser la peur ou pat une proportion d’angoisse moins invalidante : la volonté d’être accepté(e) dépasse fréquemment la peur d’être rejeté(e).
– Avec la timidité, on observe plutôt des forces antagonistes ou un conflit paradoxal : la timidité, pour schématiser et caricaturer, consiste souvent en quelqu’un qui a l’impression d’être nul mais qui en même temps se donne obligation d’être parfait, ce qui nécessairement génère de l’anxiété.
Il va donc s’agir dans la timidité selon les cas de remettre en cause les croyances anxiogènes, d’aborder les émotions parasites, de développer telle ou telle compétence, de remédier aux manifestations corporelles de l’anxiété… pour trouver un juste équilibre, adapté au bien-être.
Définition
Les phobies sociales concernent les individus qui, dans une ou des situations sociales éprouvent une forte anxiété. Ces manifestations anxieuses intenses et la plupart du temps paralysantes ou inhibitrices conduisent le sujet à éviter les dites situations, d’où un fort handicap.
Critères diagnostiques DSM IV (manuel diagnostique le plus courant)
A. Une peur persistante et intense d’une ou plusieurs situations sociales ou bien de situations de performance durant lesquelles le sujet est en contact avec des gens non familiers ou bien peut être exposé à l’éventuelle observation attentive d’autrui. Le sujet craint d’agir (ou de montrer des symptômes anxieux) de façon embarrassante ou humiliante. |
B. L’exposition à la situation sociale redoutée provoque de façon quasi systématique une anxiété qui peut prendre la forme d’une Attaque de panique liée à la situation ou bien facilitée par la situation. |
C. Le sujet reconnaît le caractère excessif ou irraisonné de la peur. |
D. Les situations sociales ou de performance sont évitées ou vécues avec une anxiété et une détresse intenses. |
E. L’évitement, l’anticipation anxieuse ou la souffrance dans la (les) situations(s) sociale(s) redoutée(s) ou de performance perturbent , de façon importante, les habitudes de l’individu, ses activités professionnelles (ou scolaires), ou bien ses activités sociales ou ses relations avec autrui, ou bien le fait d’avoir cette phobie s’accompagne d’un sentiment de souffrance important. |
F. Pour les individus de moinsde 18 ans, on ne porte le diagnostic que si la durée est d’au moins 6 mois. |
G. La peur ou le comportement d’évitement n’est pas lié aux effets physiologiques directs d’une substance ni à une affection médicale et ne sont pas mieux expliqués par un autre trouble mental (p. ex. le trouble panique avec ou sans agoraphobie). |
H. Si une affection médicale générale ou un autre trouble mental est présent, la peur décrite en A est indépendante de ces troubles; par exemple, le sujet ne redoute pas de bégayer, etc.. |
Les caractéristiques habituelles associées à la phobie sociale comprennent une hypersensibilité à la critique, à une évaluation négative ou au rejet, une faible estime de soi ou des sentiments d’infériorité. Les sujets ayant une phobie sociale craignent souvent une évaluation indirecte par les autres telle que de passer un examen. |
De manière plus détaillée
L’anxiété sociale peut être perçue sous deux angles essentiels :
wAnxiété de performance : face à un observateur, au centre de l’attention, perte des moyens et ressources : anxiété de performance.
wAnxiété d’interaction : se sentir évalué dans une relation et à son désavantage. Perte du statut d’interlocuteur valable : anxiété relationnelle.
Quelques exemples :
PERFORMANCE | INTERACTION SOCIALE |
Téléphoner en public | Parler à des gens qui détiennent une autorité |
Participer au sein d’un petit groupe | Aller à une soirée |
Manger dans un lieu public | Contacter par téléphone quelqu’un qui ne vous connaît pas très bien |
Boire en compagnie dans un lieu public | Parler à des gens que vous ne connaissez pas très bien |
Jouer, donner une représentation, … | Rencontrer des inconnus |
Les grandes lignes de la phobie sociale
1. Impression d’incompétence
Selon l’histoire du sujet (événements de vie, traumatismes, éducation, stress divers, etc…) l’impression d’incompétence (d’être « nul », pas à la hauteur…) est omniprésente avec le plus souvent une forte empreinte émotionnelle.
Ce sentiment entraîne différents phénomènes : peur de l’observation d’autrui, peur de l’évaluation, peur de ne pas être intéressant, peur du silence, peur du ridicule, dévalorisation, impression générale d’incompétence sociale…
2. Perfection et reconnaissance
En même temps que ce sentiment d’incompétence, la personne souffrant de phobie sociale crée un paradoxe puisque viennent se greffer des croyances, aspirations irréalistes pouvant se résumer schématiquement ainsi :
– Je dois être parfait : de cette auto-injonction résulte une forte pression, un enjeu important dans les situations sociales puisqu’il faut être compétent, intéressant, talentueux etc… en toute circonstance.
– Je dois être apprécié par tous : ce postulat entraîne diverses manifestation comme un manque d’affirmation de soi, un évitement de ce qui peut être conflictuel, une faible expression des émotions etc…
Ces deux objectifs sont fortement anxiogène (car par nature inaccessible), d’autant plus si ils s’ajoutent à un sentiment d’incompétence : quelqu’un qui se pense nul et qui en même temps s’impose d’être parfait et aprécié par tous se place dans une situation inextricable et angoissante.
La peur va donc être présente à chaque coin de rue, se manifestant à travers différents symptômes.
3. Symptômes
– Symptômes physiologiques : tensions et manifestations neuro-végétatives disproportionnées : tensions musculaires, douleurs musculaires, fatigue, rougissement, tremblement, sensation d’étouffement, tachycardie, sudation excessive, sécheresse de la bouche, …
– Symptômes cognitifs : hypervigilance, focalisation, hyperconscience de soi et par voie de conséquence, difficulté de concentration, de mémoire (trou noir) distorsions cognitives (lecture de la réalité éloignée de la réalité elle-même), anticipation anxieuse…
– Symptômes comportementaux : conduites d’évitement direct ou subtil, besoin de réssurance extérieure, défaut d’affirmation de soi, de gestion des conflits, d’expression des émotions, vérifications, inhibition, hyperactivité…
5. Schéma du processus
Bien que très schématique, voici une représentation du processus de la phobie sociale :
Remettre en cause la phobie sociale, c’est se pencher sur le processus ci-dessus pour le remettre en cause, autant dans sa structure que dans ses différentes manifestations.
4. Personnalité évitante
Présentation
Le trouble de la personnalité évitante est un mode général d’inhibition sociale, de sentiments de ne pas être à la hauteur et d’hypersensibilité au jugement négatif d’autrui qui apparaît au début de l’âge adulte et est présent dans des contextes divers, comme en témoignent au moins quatre des manifestations suivantes2 :
1. Le sujet évite les activités sociales professionnelles qui impliquent des contacts importants avec autrui par crainte d’être critiqué, désapprouvé ou rejeté.
2. Réticence à s’impliquer avec autrui à moins d’être certain d’être aimé.
3. Est réservé dans les relations intimes par crainte d’être exposé à la honte et au ridicule.
4. Craint d’être critiqué ou rejeté dans les situations sociales.
5. Est inhibé dans les situations interpersonnelles nouvelles à cause d’un sentiment de ne pas être à la hauteur.
6. Se perçoit comme socialement incompétent, sans attrait ou inférieur aux autres.
7. Est particulièrement réticent à prendre des risques personnels ou à s’engager dans de nouvelles activités par crainte d’éprouver de l’embarras.
Le trouble de la personnalité évitante représente 47% des personnes souffrant de phobie sociale (Marteinsdottir I, Furmark T, Tillfors M, Psychiatry. 2001 – « Personality traits in social phobia. »)
Particularités
Le trouble de la personnalité évitante est une notion timidement reconnue. Ses critères (anxiété relative et repli sur soi) ne permettent guère d’évaluer son degré de développement dans la population et participent également aux difficultés de la prise en charge.
Le trouble est en lui-même un obstacle au changement :
– Le trouble est considéré par le sujet comme un trait de personnalité, plus ou moins immuable (« je suis comme ça ») et non comme un phénomène externe et handicapant. L’accès à une remise en cause, thérapeutique ou non, sera donc limité et souvent à motivation externe (entourage, …).
– Attribution externe : les difficulté est souvent attribuée à l’extérieur (« c’est le monde extérieur qui est horrible »). Le plus souvent, des explications rationnelles seront trouvées au phénomènes anxieux. Là encore, la démarche thérapeutique ou l’effort personnel de changement est difficilement stimulable.
– L’évitement étant le phénomène central, le degré d’anxiété est souvent supportable. La personnalité évitante ne sera donc pas synonyme de situations d’angoisses paroxystiques, mais plutôt d’un état d’être entre repli sur soi et amertume.
Schémas cognitifs fréquents
Voici quelques exemples de schéma cognitifs types rencontrés dans le rouble de personnalité évitant (Freeman et Leaf plus d‘autres schémas fréquents) :
1. Je dois être apprécié.
2. Je ne dois pas paraître idiot aux yeux des autres, à aucun moment.
3. Le monde est dangereux.
4. Les autres doivent prendre soin de moi.
5. Mieux vaut être isolé que de risquer d’être blessé.
6. Toute critique envers moi est une terrible condamnation.
7. Les gens doivent m’offrir des garanties inconditionnelles d’acceptation avant que je puisse établir des liens avec eux.
8. Je suis indésirable
9. Les autres sont critiques, indifférents ou humiliants.
10. Je ne peux pas supporter les émotions négatives.
11. Si les autres me côtoient, ils vont me connaître mieux, se rendre compte de qui je suis et m’agresser ou me rejeter (syndrome de l’usurpateur).
12. Il vaut mieux ne pas faire que de courir le risque d’échouer.
Si on devait extraire une croyance fondamentale de ces postulats, cela pourrait être : « Les autres risquent de me blesser » (et le risque est trop grand ou l’intensité de la blessure envisagée trop importante). Il y a donc une très forte appréhension à se dévoiler, voire à se lier avec autrui, sans la certitude absolue d’être aimé ou apprécié.
Justification, rationalisation et référence externe
Là ou l’évitement est relié à l’angoisse dans la phobie sociale, avec la personnalité évitante règnent justification et rationalisation. Les évitements sont expliqués et les problèmes attribués à des phénomènes externes. Diverses raisons viennent en effet expliquer les évitements : fatigue, ennui, manque d’intérêt, antipathie des autres etc… La peur est peu évoquée.
C’est sur ces quelques points que l’on pourrait établir un différentiel avec la phobie sociale :
Personnalité évitante |
Phobie sociale |
« C’est de la faute des autres ». |
« C’est de ma faute ». |
« J’évite car ça m’ennuie, c’est nul ou ça ne vaut pas la peine ». |
« J’évite parce que j’ai peur et je ne me sens pas capable ». |
« Je suis comme ça ». |
« Je veux changer ». |
Dans l’abord de la personnalité évitante, il convient donc entre autres :
– de recadrer le débat avec l’abord de l’anxiété en tant que telle.
– de placer la personne en référence interne.
– de remettre en cause le cercle vicieux de l’évitement.
– de permettre à la personne d’être en situation et capacité de pouvoir courir le risque relationnel.
Même si cela se révèle schématique, on peut interpréter la personnalité évitante comme une phobie sociale qui se serait généralisée, avec comme processus central l’évitement, banalisé au fil du temps, justifié par une attitude pseudo-logique ou rationnelle et une externalisation du problème plus ou moins fataliste et amère mais qui trouve sa source dans une peur fondamentale d’être blessé ou rejeté.
5. Ereutophobie
Présentation
L’éreutophobie désigne la peur de rougir en public, peur assez répandue (10% de la population). Mais comme toute manifestation anxieuse, il y a trouble lorsque les proportions deviennent handicapantes.
L’une des caractéristique essentielle du trouble est le caractère obsédant de la peur : anticipation, évitement, inhibition… Les manifestations anxieuses qui en découlent sont nombreuses. A noter que cette obsession participe elle-même naturellement au rougissement, ce qui entraîne la personne dans un cercle vicieux :
La personne ne tolère pas de rougir est rougit donc fréquemment. A l’inverse, c’est quand la personne tolère le rougissement, que le phénomène s’éteint (ou que les rares rougissements ne constituent plus un problème.
Le rougissement devient une obsession car :
– Le rougissement est un symptôme d’anxiété sociale apparent : cela se voit, au contraire d’autres manifestations anxieuses (accélération cardiaque, tensions musculaires, maux de ventre, oppression respiratoire…). Un phénomène analogue quoique moindre peut être observé dans certains cas d’anxiété sociale, l’obsession portant sur le tremblement (des mains en particulier) ou la sudation excessive, car là aussi, il s’agit d’un symptôme plus ou moins visible et interprétable par le regard extérieur.
– Le rougissement est incontrôlable et s’aggrave lors des tentatives de contrôle. En voulant contrôler, on augmente encore le niveau d’activation émotionnelle, on lutte… et on rougit encore plus. Le rougissement appartient aux symptômes d’alarme. En voulant contrôler, on pérénnise et développe la dite alarme. Par voie de conséquence, c’est quand on tolère le symptôme, qu’il ne se produit plus.
– Le rougissement est imprévisible. Ajoutant à l’incertitude et au degré d’anxiété, cette imprévisibilité augmente encore la focalisation, l’hypervigilance (même si elles sont illusoires).
– Le rougissement nuit à la performance sociale. Focalisé sur le phénomène interne, on est moins disponible pour l’interaction sociale. On est donc inhibé, moins performant, moins satisfait de ses prestations, ce qui augmente encore la peur du regard et/ou du jugement de l’autre.
– Le rougissement apparait comme une honte à celui qui rougit (dialogue intérieur de dévalorisation, crainte du regard extérieur…). Car ce qui peut sembler étonnant pour un observateur extérieur, le rougissement est vécu comme une honte, une faiblesse terrible (manque de caractère, de virilité…). Là encore, cet aspect ajoute au degré d’anxiété et à la focalisation qui en découle.
Les comportements d’inhibition et d’évitement des situations susceptibles d’être anxiogènes accompagnent généralement le trouble. A noter également ce que l’on nomme évitement subtil (comme par exemple, coupe de cheveux spécifique, fréquentation des salles de sport ou il est normal d’être rouge, maquillages adaptés et opérations chirurgicales visant à supprimer le symptôme).
Représentation schématique du processus cognitif :
Avec l’éreutophobie, on est au centre cognitif de l’anxiété, avec une succession d’interprétations et d’impressions plus ou moins irrationnelles :
1. Supposition que le rougissement est visible
« La tête que je dois avoir! »
2. Supposition que tout le monde voit le rougissement et se focalise dessus
« Ils voient tous que je suis rouge. »
3. Supposition que tout le monde va interpréter négativement ce rougissement
« Rougir, c’est être faible, ridicule… »
4. Supposition que ce jugement négatif va entraîner rejet, moquerie…
« Ils vont se moquer », « ils vont me rejeter ».
-
Inhibition, évitement, augmentation du contenu anxiogène de la situation etc…
« j’ai trop peur, tout pour éviter ça »!
Remise en cause
L’erreur thérapeutique dans le cadre de l’éreutophobie est souvent de la considérer comme une phobie spécifique, simple dans son processus (comme la peur de l’eau, des araignées etc…)
L’éreutophobie est à considérer comme une phobie complexe, qui prend un double visage : anxiété sociale et assez fréquemment forte dimension obsessionnelle.
A ce titre, les enjeux stratégiques de la thérapie vont être principalement :
- Intégrer que se libèrer de l’éreutophobie, ça n’est pas ne plus rougir, mais que rougir ne pose plus de problème anxieux (même si le phénomène du rougissement se dissipe pour s’éteindre du fait de la baisse du niveau d’anxiété).
- Intégrer la nécessité de recadrer le discours centré sur l’obsession « ne pas rougir » vers quelque chose de plus large ayant rapport avec l’anxiété sociale, de manière plus ou moins spécifique.
J. Boutillier, enseignant à l’INCTB, responsable de la formation Thérapie brève des troubles anxieux
Auteur de En terminer avec l’anxiété sociale
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