Bégaiement : quelques réflexions

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Par J. Boutillier, enseignant en hypnose et thérapie brève à l’INCTB

Pour répondre au commentaire et à la demande de Sammy Davis Junior je peux poster au doigt levé un article sur le bégaiement (un dossier approfondi est en préparation). Il y a beaucoup à dire à ce sujet.

L’étiquette identitaire

Il y a peu de difficultés qui deviennent si profondément identitaires. Il y a entre autres le bégaiement, l’alcoolisme aussi. A titre d’exemple, on dit « Je suis alcoolique », on ne dit pas « je suis rongeur d’ongles ». Pourtant dans les deux cas il s’agit de comportements, simplement de comportements. Dans le premier cas, le trouble est tellement envahissant que l’étiquette se colle au niveau de l’identité. C’est assez souvent le cas avec les personnes qui bégaient. Au risque de choquer (quoique la justesse d’un modèle se révèle dans son utilité), le bégaiement peut être considéré comme un comportement (le comportement est ici observable par le fait de répéter des syllabes ou de bloquer ici ou là quand on parle). Ce décollage d’étiquette est important, car c’est beaucoup plus aisé de remettre en cause un comportement qu’un problème identitaire. Le communication du thérapeute doit aller dans ce sens (« dépathologiser » l’individu) pour se pencher sur ce comportement mis en place dans un certain contexte.

Sur la structure en général

Je suis parti à mes débuts dans un abord mutli-factoriel du trouble. Des thérapeutes de tous poils peuvent trouver leur bonheur avec le bégaiement. En effet de nombreux facteurs participent au bégaiement, par contre la structure dans sa mise en place et sa continuation est assez simple et désespérément humaine (dans le sens où elle se rencontre souvent à d’autres sujets) : ce que l’on appelle des solutions qui deviennent des problèmes. Je m’explique :

– La première gestation est de l’ordre du jugement : une personne vit une situation et décide qu’il y a un problème. Je vais prendre un exemple extérieur au bégaiement c’est souvent plus simple : une personne se promène au supermarché, elle a chaud et pense : « J’ai chaud, ça n’est pas normal ». Alors que de nombreuses personnes ont eu chaud dans un supermarché sans déterminer que ça n’était pas normal.

– La deuxième gestation est de l’ordre de la prise de décision : à partir du moment où on a déterminé qu’on avait un problème, il est tout à fait légitime de vouloir mettre en place des solutions. Pour reprendre l’exemple du supermarché, la personne trouve comme solution de sortir vite à l’air frais : « Vite, il faut que je sorte! ». Pour sortir vite se rafraîchir, elle galope derrière son caddy, s’énerve à la caisse ou la queue n’avance pas, le cœur galope, les mains tremblent etc… Ce qui fait aussi qu’elle a encore plus chaud et confirme que tout cela n’est vraiment pas normal. Une fois sortie, la fraîcheur lui indique que ça va mieux, alors que vient de s’installer une peur d’aller au supermarché et que ça va donc en fait beaucoup moins bien que si elle était restée se rafraîchir aux rayons des surgelés. Tout cela construit le processus de l’agoraphobie.

Le trouble va se révéler lorsque les solutions mises en place complexifient le problème. Les solutions au problème deviennent elles-mêmes le problème. On voit ici que l’intention est bonne, mais qu’il y a un brouillage des intentions et effets obtenus : la tentative de solution fait partie du problème. Dans le bégaiement, il y a jugement d’anormalité (par l’enfant, les proches, le système etc…), et chacun, dont l’enfant, y va de sa petite tentative de solution. La personne qui bégaie est enfermée dans un système stratégique très sophistiqué d’élimination du bégaiement, … qui le prolonge (voire le génère). Et d’après mon expérience, l’importance du bégaiement est proportionnelle à la quantité, à l’intensité et à la sophistication des tentatives de solutions mises en place pour l’éliminer.

Le langage est quelque chose de spontané et d’inconscient, c’est-à-dire de naturel (je ne réfléchis pas techniquement à ce que je dis quand je parle, je suis dans ce que je dis). Les tentatives de solutions ont la particularité généralement de conscientiser et de dénaturer l’expression verbale, ce qui éloigne l’expression verbale de son essence première. La personne qui bégaie est alors dans quelque chose de paradoxal du type de l’injonction : « Sois spontané! » (ça n’est pas possible d’être volontairement spontané). Le paradoxe est intenable. Et il est renforcé à chaque tentative de solution. On se trouve dans une boucle paradoxale, où les efforts et stratégies pour ne pas bégayer entretiennent voire développent ou génèrent le bégaiement. C’est pour cela que certains thérapeutes conseillent de bégayer volontairement : pour remettre en cause le cercle vicieux et son paradoxe.

Modèle à considérer en thérapie

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Comme sur le schéma ci-dessus, il y a deux systèmes (internes et externes) à considérer lorque l’on se penche sur l’expérience de la personne qui bégaie :

1) Expérience interne : ce qui se passe à l’intérieur du sujet.

– Dimension cognitive (Croyances, ce qui est pensé) : Par exemple : « Je vais bloquer ».

– Dimension perceptive et émotionnelle (Ce qui vécu émotionnellement, ce qui est perçu) : Par exemple : « J’ai peur de… ».

– Dimensions sensorielle / corporelle (Ce qui vécu corporellement et perceptiblement : Par exemple : « Ma mâchoire est bloquée »).

2) Expérience externe : ce qui se passe à l’extérieur du sujet.

– Dimension comportementale (Action, ce que la personne fait) : Par exemple : « J’ai décidé de ne pas y aller ».

– Dimension réactionnelle du système (Réaction, comment le système, les autres, le monde, réagissent aux actions du sujet) : Par exemple : « Ne t’inquiète pas, je t’accompagne ».

Ces 5 axes présentent la particularité d’être en constante interaction. Les interactions sont nombreuses, autant dans le domaine de ce qui se passe à l’intérieur de la personne qu’à l’extérieur. L’orthophonie, les thérapies cognitives, les thérapies comportementales, les thérapies familiales… ont donc toutes leur mot à dire quand on observe le processus du problème. En même temps, elles n’agissent que sur un domaine (les croyances par exemple pour les thérapies cognitives). Cela peut suffire (il y a donc alors succès thérapeutique) mais également se révéler inopérant, car mésestimant la globalité du sujet et l’équilibre des systèmes (une des particularité des systèmes étant quand on les remet en cause insuffisamment ou qu’on ne leur propose pas d’alternative de fonctionnement valable, de développer une énergie considérable à retrouver le point d’équilibre initial). Il convient donc de produire une approche en thérapie brève pluraliste, multifactorielle et respectueuse de cet équilibre systémique.

Quelques facteurs à remettre en cause

– Habitudes apprises : comme souvent, avec les personnes qui bégaient, on ne fait pas d’hypnose, on « déshypnotise » . La personne pour se venir en aide a mis en place toutes sorte de programmes (neurologiques, cognitifs, comportementaux etc…), fondés sur de bonnes intentions mais qui pérennisent le trouble. Au niveau neurologique, la remise en cause est submodale : premières perceptions, avant conceptualisation par la pensée ou le langage, au niveau pavlovien.

– Anxiété sociale : le bégaiement est en général nourri et amplifié par un phénomène d’anxiété sociale, voire de phobie sociale (peur du regard, du jugement etc…). Le filtre de l’anxiété génère des manières de penser (généralisations abusives, lectures d’avenir, de pensées, etc…), de se comporter (évitement, réassurance extérieure…) qui renforcent le trouble.

– Phénomènes dissociatifs : avec le bégaiement se produit un décalage dans l’appréhension de la réalité. La technicité de la parole dissocie le sujet du niveau adapté de réalité dans l’expression verbale. Il y a deux niveaux de réalité. La réalité de premier ordre, c’est-ce que nous disons, entendons ou lisons (par exemple, le mot « chien »). La réalité de second ordre, c’est l’attribution de sens à la réalité de premier ordre (pour le chien par exemple : « ça mord », « c’est affectueux », « ca met des poils partout »…). La personne qui bégaie est installée dans la réalité de premier ordre alors que le solutionnement de toute problématique s’installe dans le deuxième réalité (ce qui est perçu, notre représentation du monde etc…). Il y a là un décalage à remettre en cause.

Par J. Boutillier, enseignant en hypnose et thérapie brève à l’INCTB

 
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